Ce n’est pas une tendance nouvelle, même si la crise l’amplifie davantage : les petits jeux à 10/15 euros prolifèrent depuis quelques temps déjà. Si le célèbre éditeur Cocktail Games s’est depuis longtemps positionné en spécialiste ès-jeux d’ambiance « crétin-crétin » à moins de 10 euros en boîte métal, il en est un autre, Bombyx, qui se positionne pour quelques euros de plus sur une gamme, sinon plus « sérieuse », du moins plus à même de convenir à des joueurs peu expansifs, lorgnant même du côté des plus jeunes joueurs sans laisser leurs parents sur la touche.
Cet éditeur dont le nom ne vous est peut-être pas forcément encore très familier n’est autre que la résurgence de Hazgaard Editions, à qui l’on doit, depuis 2008, des jeux tels que La Cité des Voleurs, Intrigo, Nostra City, Pocket Rockets (plus léger), ou Alien Menace plus récemment. Si la ligne graphique et thématique, sinon la ligne éditoriale, était plutôt connotée « joueurs », la création d’une nouvelle entité Bombyx traduit la volonté forte de faire table rase du passé pour s’ouvrir à un nouveau segment plus large et grand public, que chaque nouvelle parution labellisée Bombyx a systématiquement et brillamment entériné depuis (voir notre chronique de Takenoko, As d’Or de Cannes 2012).
Chez Ludopoly, si on a une tendance naturelle vers les boîtes présentant un embonpoint certain, le faible niveau ces derniers mois de sorties réellement indispensables à nos yeux (et convenables à nos goûts) sur ce segment nous a fait ronger notre frein, et user jusqu’à la corde nos jeux préférés. Pour renouveler le plaisir et garder la lassitude à distance, l’on se prend alors à retirer le film plastique de certaines petites boîtes qui avaient su se faire oublier jusqu’alors, toutes estampillées du petit papillon orange.
Timeline
S Frédéric Henry I Xavier Collette & Nicolas Fructus U 2 à 8 – 8 ans et + P 20 minutes
Figure de proue de cette gamme, tout récemment réédité dans une version « all-inclusive » multi-thèmes, et transfuge de l’ère Hazgaard, Timeline illustre parfaitement la tonalité de cette gamme : ultra-accessible mais pas idiote, loin s’en faut. Ce jeu de Fred Henry vous propose un challenge très simple à appréhender : situer chronologiquement entre elles des grandes dates/inventions/etc par dichotomies successives.
Ce principe de dichotomie est justement la bonne idée majeure qui rend le jeu à la fois très accessible sans pour autant le rendre simpliste. Il permet justement une graduation douce de la difficulté au fil de la partie qui permettra à tous les joueurs de se prendre au jeu, tout en contentant les plus farouches compétiteurs à l’approche de la fin de partie lorsque la marge d’erreur se réduira à peau de chagrin.
dConseil tactique
Pour maximiser vos chances de victoire, il vaut mieux commencer à positionner les cartes qui vous semblent les plus difficiles à dater lorsque peu de cartes ont encore été posées : cela diminue le risque d’erreur.
Chaque carte représente, suivant la version de votre boîte Timeline, une invention/découverte/grande date à positionner dans le temps par rapport aux autres déjà posées. Par conséquent, nul besoin ici d’avoir Wikipédia en tête : il vous « suffit » d’être capable, ne serait-ce que par déductions successives, de la situer par rapport aux autres. Si le challenge associe de manière pour une fois réellement amusante Histoire et mécanique ludique, le risque d’essoufflement est certain, car on finit par être calé en dates (ce qui n’est pas le moindre des mérites dont un jeu peut être crédité !) et on ne se trompe quasiment plus.
C’est là que les extensions, proposant des cartes supplémentaires suivant d’autres thématiques historiques, rentrent en jeu, avec la possibilité de les panacher à loisir entre elles. Elles vous permettront de renouveler le plaisir de jeu et couper l’herbe sous le pied des plus assidus d’entre vous qui joueraient presque en pilotage automatique. Timeline a justement fait parler de lui dans l’actualité ludique en présentant, en plus d’une version « grande surface », une nouvelle édition multi-thématiques, qui contient de nouvelles cartes de toutes les thématiques déjà parues. Et pour les plus geeks d’entre vous, et/ou ceux qui souhaitent découvrir le jeu à moindre frais sans prendre de risque, une application Timeline iPad de très belle facture est disponible sur iTunes, avec ses deux extensions.
Wordz
S Frédéric Henry & Guillaume Blossier I Stéphane Gantiez U 3 à 7 – 10 ans et + P 20 minutes
Règles Wordz - Bombyx (4,1 MiB, 36 téléchargements)
Wordz est un autre très bon représentant de ce qu’on aime chez ces petits jeux malins. Autre production made in Fr…ed Henry (sauvons la France : achetons Français), ce jeu partage des gênes communs avec le premier cité, aussi bien dans les points forts (accessibilité exemplaire, mariage réussi de « sérieux » et de « ludique »), que dans les prérequis (une certaine homogénéité autour de la table).
Wordz propose ni plus ni moins que de réinventer le concept du pendu, mais en multijoueurs. Chaque joueur reçoit en début de manche 7 cartes de lettres bleues (consonnes) et 5 jaunes (voyelles) et 3 jetons mauves de mise. Chacun compose alors un mot de quelque nature que ce soit tant qu’il ne s’agit pas d’un nom propre, et dispose ensuite ce mot avec ses cartes/lettres faces cachées devant lui.
A tour de rôle, chaque joueur a :
- 1 action obligatoire : retourner une carte/lettre chez un joueur adverse
- 1 action facultative : épeler une proposition pour le mot d’un joueur, en lui donnant pour ce faire un jeton mauve.
Ces deux actions peuvent se faire dans n’importe quel ordre.
dConseil tactique
Les mots les plus longs ou rares ne sont pas forcément les plus durs à trouver ! Tout le monde chez Ludopoly se souvient encore du fameux achalandées… Comme l’on sait, même face cachée, si une carte est une consonne ou une voyelle, il suffit parfois d’une à deux lettres visibles pour trouver le mot complet. Pour maximiser votre score, privilégiez donc les mots dont un même package [nature/position] des lettres peut « cacher » un maximum de possibilités.
Le système de points lors d’une proposition exacte de mot réunit parfaitement astuce, justice, et simplicité : le créateur du mot conserve les cartes de son mot déjà retournées, tandis que le joueur qui a fait la bonne proposition prend les cartes du mot qui n’étaient pas encore retournées. Toutes les cartes ainsi récupérées compteront en fin de manche pour autant de points de victoire. Ainsi, un joueur qui devine un mot avec d’autant moins « d’indices » (i.e. de lettres visibles) marquera d’autant plus de points. De la même façon, un joueur qui aura créé un mot sur lequel les joueurs se seront cassés les dents en marquera d’autant plus lorsqu’il sera découvert, puisque sa découverte aura nécessité de retourner un plus grand nombre de cartes.
Noé
S Bruno Cathala & Ludovic Maublanc I Xavier Collette U 2 à 5 – 7 ans et + P 30 minutes
Règles Noé - Bombyx (1,1 MiB, 44 téléchargements)
Noé est un des derniers jeux du célèbre duo Bruno Cathala et Ludovic Maublanc. Si chez Ludopoly la dernière boîte réunissant ces deux noms était Cyclades, autant dire qu’on fait le grand écart avec Noé. Les esprits tordus rétorqueraient qu’il existe une certaine filiation, puisqu’ici aussi on retrouve l’esprit « foutons-nous sur la tronche autour d’un bateau ». Certes… Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un titre très malin (on a l’habitude), très grand public (idem) touchant ainsi un spectre très large de joueurs, des plus jeunes grâce à son graphisme qui fait mouche, jusqu’aux grands enfants que nous sommes.
Jeu de défausse organisé en manches successives, il nous invite à placer un maximum d’animaux sur l’arche de Noé avant le déluge. Concrètement, il n’y a pas une mais cinq bicoques qui vont régulièrement partir au fil de chaque manche, toutes pleines à craquer d’une joyeuse animalerie où la distinction du sexe et du poids des espèces est prépondérante. Car le problème de la place va vite se poser ! Un joueur ne peut poser de carte animal que dans le bateau où Noé est présent. Il doit respecter deux conditions très simples :
- le poids de l’animal noté sur la carte ne doit pas faire dépasser le poids total du bateau au-dessus de 21 ;
- le groupe d’animaux présents dans le bateau ne peut être qu’unisexe OU présenter une rigoureuse alternance des deux sexes.
Par conséquent, la « configuration » du bateau est donnée dès la deuxième carte : si ce sont deux mâles, le bateau ne pourra accueillir que des mâles ; si les cartes sont de sexes différents, il faudra conserver ce schéma en poursuivant l’alternance lors de la pose des cartes suivantes. Après quoi, la carte posée indique à son ex-propriétaire les deux bateaux vers lesquels il a le choix de déplacer Noé qui imposera au joueur suivant le bateau qu’il devra remplir. Il faut donc déplacer astucieusement Noé pour bloquer ses adversaires ! Car un joueur ne pouvant jouer de carte récupère en main les animaux du bateau, ce qui est fâcheux pour un jeu de défausse, vous en conviendrez !
En fin de manche, les animaux en main nous apportent des points, mais le but est d’en avoir le moins possible en fin de partie ! Ajoutez quelques pouvoirs spéciaux sympathiques sur certaines cartes, des possibilités de combo et de donner ses propres cartes aux autres (en cas de 21 exact) et voilà qui conclut un tableau tactiquement très agréable sans pour autant faire griller les neurones. Si les plus jeunes ne profiteront pas ou du moins mettront plus de temps à tirer parti des opportunités s’offrant de la sorte, ils prendront tout de même autant de plaisir que leurs aînés, qui chercheront davantage, quant à eux, à réaliser le coup pendable qui fera bisquer toute la tablée. Pas de malentendu tout de même : il n’y a pas de plan fourbe à planifier sournoisement sur 6 tours, nous en voulons pour preuve le système de manches successives dont le seul intérêt est de gommer et niveler la fluctuation du hasard d’une manche à l’autre.
Mais si Noé se distingue avantageusement des deux jeux précédemment cités par un graphisme réellement enchanteur, là où Timeline et plus encore Wordz suivent une ligne visuelle plus « fonctionnelle », c’est aussi celui qui voit le temps d’explication de ses règles dépasser le cap des trente secondes dont peuvent se targuer ses deux voisins de chronique ludique. Remis en perspective avec les possibilités tactiques qu’il offre, on le soupçonnerait presque d’être victime de son graphisme « trop » enfantin qui cache une conception plus retorse et riche qu’il n’y paraît de prime abord. Comme aurait pu dire Noé lui-même : « méfiez vous de l’eau qui dort ».
Bilan
N
Timeline, Wordz et Noé vous conviendront si…
- vous cherchez des jeux rapides mais malins ;
- vous souhaitez jouer avec toute la famille, enfants compris ;
- vous préférez les jeux aux règles simples et très vite assimilées ;
- vous êtes sensibles au matériel et aux graphismes soignés ;
- vous avez un petit budget ;
C
L’un de ces jeux pourrait ne pas vous plaire si…
- Pour Timeline : vous comptez y jouer souvent : pensez aux extensions pour entretenir l’intérêt ;
- Pour Timeline et Wordz : l’aisance, ou à tout le moins le goût de chacun de vos joueurs pour l’Histoire ou les lettres est trop disparate ;
- Pour Noé : vous jouez avec des jeunes enfants à la patience limitée : il peut devenir un petit peu long ;
17 novembre 2012
Très bon article sur l’ensemble des jeux qui comme indiqué sont tous les 3 très bons ! ! !
Tiens, je vais les resortir du coup…..